Atelier d’écriture - Mots imposés

Mon amour,

Oui malgré tout j’ai encore assez de sollicitude envers toi pour te dire « mon amour », peut-être que ce n’est plus que de l’habitude, ou pire, de l’abnégation.

C’est lunaire cet échange que l’on vient d’avoir, ça fait plusieurs semaines que l’on ne se parle plus que comme ça. Au mieux tu rouspètes, le plus souvent les mots sortent de ta bouche comme d’une catapulte, pulvérisant sur leur passage les maxillaires supérieurs, l’os temporal, les mandibules. C’est quoi ton but, faire du langage, de cette langue qui était la nôtre une partie de pétanque, tu as vu en mon visage, mon thorax, mon myocarde ou que sais-je, un cochonnet étincelant qu’il faudrait pulvériser ? J’aimerais te prendre par la main, te dire viens, pour une fois depuis longtemps on se calme, on se rassemble, on se penche l’un vers l’autre, on se dit des choses tendres, on imagine que c’est l’été, notre premier voyage, qu’on est face à la mer. Il n’y a que nous et le sauvage, les mammifères marins, ceux que tu préfères, les rorquals, les marsouins, les globicéphales, je ne sais plus, c’est toi qui connais tout ça. Il y a les fleurs, les pivoines, et les rhododendrons, l’ombre des tilleuls et des pins colonnaires. Tout est calme, il n’y a que nous, dans le conciliabule des éléments, c’est bien comme ça.

Tu dis vouloir quelque chose de plus grand, mais c’est quoi « quelque chose de plus grand »? Je suis désolée que ce ne soit pas assez grand tout ça pour toi, les années, les premières fois, notre premier enfant, notre deuxième enfant, et notre apothéose.

« Quelque chose de plus grand » ça veut dire quoi, pardon mais c’est du blabla, du flan, appelle ça comme tu veux. Je ne peux plus. C’est fini. Je te vois d’ici, dans ton bureau sous le vélux, j’imagine ton visage qui décrépit à la lecture de mes mots, et ta pâleur marmoréenne, ta pâleur des jours tristes, rabougris où tu sens que quelque chose t’échappe, que quelque chose prend fin.

Using Format