Novembre - Le manteau


               Je traverse la ville, parce qu’on m’a dit de le faire sur un ton doctoral. Moi je ne rêve que d’Italie et un peu de New York, mais il paraît que ça fait du bien au moral, de mettre un beau manteau même pour aller nulle part, de sortir dans la ville pour sortir du silence qui hante nos maisons et nos coeurs et nos corps et pour quitter un peu mon immense paresse. Aux prescriptions futiles dans ma tête je rétorque : savent-ils que ma paresse est une immense tour, une tour dans mon évier et qu’aux tours de New York comme aux tours d’Italie, vraiment, elle n’a rien à envier ? Savent-ils qu’elle a les bras en croix, qu’elle s’abreuve des discours des moulures du plafond qui ne disent plus rien, qu’elle attend qu’apparaisse une nouvelle fantaisie, qu’elle est chaque jour nourrie par des articles de presse qui avivent ma flemme de me heurter au monde ? Qu’elle est toutes ces lectures que pour rester en vie il faut bien que j’écourte, qu’elle est une descente, une descente de marches qui dure dix-sept minutes, une descente de lit  recouverte de pots de yaourt et des meubles pleins de tasses encore pleines de thé refroidi ? Qu’elle est d’un luxe indécent qu’elle se traîne dans le tiède protégé  tout en haut d’une tour haussmannienne ? Mais j’ai bien obéi et comme une enfant bien sage, j’ai mis mon manteau, rempli mon formulaire, j’ai fait une croix dans une case et une autre sur mon droit de rester me complaire dans ce calme endémique. Alors pour affronter la pluie de mauvaises nouvelles, j’ai choisi mon manteau des jours de mauvais temps mais comme il faisait beau alors j’ai mis un manteau de mauvaise foi  et puis je suis sortie pour acheter une éponge et caresser les chiens, tous les chiens sur mon passage,  en marchant j’ai maudit  ce printemps de Novembre qui ne finit jamais,  je suis passée devant les marchands de fruits et de fleurs et à tort j’ai maudit les odeurs, les parfums que j’aimais.                                                                                                      A vous que j’ai croisés sans prêter d’attention, pardon. J’ai préféré vos chiens à vos visages muselés mais dans vos yeux  sachez que je me juge moi-même et je vois mon immense paresse accusée. Partout, je vois de l’accusation: dans les yeux de vos chiens et même dans ceux de mon chat qui s’en fout. A vous qui avez je sais le même manteau que moi mais qui savez sûrement le laisser au placard , à vous qui me tannez d’adages bienveillants quand je marche au radar, à vous qui êtes vêtus des cuirs tannés de votre résilience, drapés dans les volutes  de soie  d’abandon aux choses simples, j’ai tant à  apprendre de vous. Et puis j’ai senti naître une jubilation, comme une enfant pas sage et j’ai franchi la ligne du saint kilomètre et j’ai suivi vos pas qui me mèneraient ailleurs et ce serait mieux que nulle-part, j’ai traversé la ville en entier comme un enfant capricieux et forcé d’avancer et j’étais aussi toute petite et vieille de cent ans et j’enviais la hauteur  des tours de New York et même la tour  d’Italie penchée mais debout au dessus  des bassesses du monde et j’étais un enfant qui fait ses premiers pas étonné de lui-même et au milieu de la place Concorde, soudain: le chaos rugissant métallique infernal des voitures et soudain une main dans la mienne qui me tire vers l’avant et une voix de nulle part qui me dit “On va y aller ensemble” et on a traversé toute la place en courant tenant bon, tenant tête, tenant corps au chaos effrayant et il a disparu, tout au bout de la place, disparu d’un seul coup, emportant avec lui mon écharpe de sanglots étranglés qui me serrait le cou et la ville soudain n’était plus le boyau génocide qui digère à l’acide mes derniers idéaux, mais un champ de possibles infini et le chant des oiseaux qui reviennent au printemps se percher sur les ponts où coulent toutes les eaux qui lavent nos blessures. Ce garçon je crois était vêtu de cuir et de la soie, c’est sûr, il en avait aussi et la ville ce jour là était toutes mes amours envolées sur les toits mais qui veillent sur moi et ça me donne presque envie, pour l’occasion, de changer de manteau pour un morceau de soie.

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